Le « Laboratoire des attachements » est une recherche-action développée hors cadre de commande. Elle propose des expériences et des échanges pour explorer les liens affectifs et opportunistes entre les vivants. Au loin, elle vise la constitution de formes et de méthodes pour vivre, construire, organiser et partager l’espace habité avec tou.te.s les vivant.e.s.
Depuis janvier 2021 – Berthenay (37)
Collaborations multiples : université populaire de Tours, Serge Mang-Joubert (Entre les Arbres), Marie-Charlie Pignon, La Grande Berthe (lieu de résidence auto-géré), etc.
// La première session du laboratoire a lieu les 28, 29 et 30 mai à Berthenay (37). Elle consiste en une exploration collective d’un espace habité (une habitation et son jardin) via une ensemble de techniques relationnelles issues de l’écopsychologie ou de savoirs vernaculaires. Elle sera facilité par Pascal Ferren et Marie-Charlie Pignon. Plus d’informations en contactant : labattache@linversedelafusee.fr.
1 – Intentions générales
Nous habitons un monde et des espaces abîmés. Pollution, épuisement énergétique, effondrement de la biodiversité, expansion des inégalités sociales, etc. Dans ce contexte émerge une pensée de réparation, qui insiste sur une sortie de l’anthropocentrisme et de la modernité extractiviste, sur une figuration de la ruine, sur un renouveau des pratiques politiques élargissant la souveraineté jadis capturée par sapiens sapiens vers une diplomatie des vivants. L’ensemble de ces théories politiques, souvent largement prospectives, réclament une pratique d’interprétation et de traduction des intentions du vivant non-humain vers les mondes humains. Comment entendre le vivant non-humain ? Comment interpréter et traduire dans un langage humain les souffrances, les désirs, les rêves qui émergent de la biosphère ? Comment renouveler nos constructions collectives, politiques, juridiques, urbanistiques en particulier, depuis une communication entre espèces ?
Pour répondre à cet immense défi, nous proposons de créer un espace de recherche-action à la croisée des relations vivantes qui nous entourent et du débat public. Nous souhaitons faire signe vers une connaissance sensible des attachements entre les vivants, de l’entrelacs biologique qui nous anime, afin de pouvoir renouveler une vie de communauté élargie aux non-humains. Nous postulons que l’émergence ou la ré-émergence de cette manière de connaître le monde pourrait permettre d’agir individuellement et collectivement de manière juste et, surtout peut-être, adaptée à ce qu’est le monde interdépendant, globalisé, hyper-symbiotique (pour le meilleur comme pour le pire) que nous traversons.
Pour aborder ce gigantesque chantier épistémologique et politique, il est courant de convoquer des savoirs vernaculaires qui auraient été oubliés : un chamanisme, une sorcellerie de village, un druidisme. D’autres y voit un travail esthétique, de composition, de création, de médiation entre des humains et le monde vivant. D’autres encore s’engagent pour inventer et diffuser des modes relationnels inventifs entre l’humain et le vivant : écophsychologie, connexion à la nature, sylvothérapie, remède à l’éco-anxiété, communication animale, etc. Enfin, il existe, en sciences humaines, un courant d’approches sensibles ou affectives qui, autrement encore, tente de renouveler les approches des espaces habités. Le « Laboratoire des attachements » est une initiative ouverte visant à proposer des expériences et des échanges pour plonger dans l’ensemble de ces techniques de rattachement de l’homme et du vivant.
2 – Origines (paysage intellectuel de référence)
Ce laboratoire doit beaucoup aux avancées théoriques portés par l’anthropologie et la philosophie française depuis une trentaines d’années. Nous pensons en particulier aux travaux de Jean-Philippe Pierron (à qui nous devons beaucoup), Augustin Berque, Bruno Latour ou Philippe Descola. Mais la liste est longue.
Plus loin dans le siècle, il provient des multiples courants de l’écologie politique, en particulier des travaux d’Ivan Illich ou de Jacques Ellul, autant que la si dynamique éthique environnementale dont Aldo Léopold porte l’étendard. Mais la liste est longue.
La Laboratoire des attachements est aussi une tentative de « réponse » ou de prolongation politique de l’éthologie. Nous devons ici référence à Nikolaas Tinbergen, Konrad Lorenz ou, plus récemment, à Frans de Waal ou Jane Goodall. Mais la liste est longue.
Il doit aussi aux récentes réflexions, plus juridiques, autour du droit des écosystèmes et de l’extension de la souveraineté populaire vers les non-humains. De ce côté, nous rendons hommage aux expérimentations de la législation néozélandaise, aux travaux de « Notre affaire à tous » ainsi qu’à ceux, plus proche de nous encore, de la Commission pour un Parlement de Loire animée par Camille de Toledo. Mais la liste est longue.
Néanmoins, la particularité de ce laboratoire, nous semble-t-il, est de croiser ce paysages d’inspirations intellectuelles avec plusieurs traditions, plus pratiques, souvent plus « orales », moins doctes, plus mystiques ou mystérieuses, éparpillées et souvent plus ou moins douteuses. Cet archipel de pratiques (souvent corporelles) comprend l’écopsychologie d’une Joanna Macy, l’écologie profonde d’un Arne Naess, l’anthroposophie d’un Rudolf Steiner, le mysticisme d’une Hildegarde de Bingen, mais également diverses sorcelleries des campagnes européennes ou de multiples pratiques contemporaines de « reconnexion » à la nature, des pratiques artistiques d’approches sensibles des territoires, ou encore, certains courant militants ou activistes : zadisme, territorialisme, revue « terrestres », etc.
Si le premier grand courant intellectuel nous invite à repenser les configurations homme-monde pour faire signe vers une nouvelle conception, élargie, de la politique et du droit, l’archipel des pratiques évoquées est imaginé comme un répertoire de ressources, pour trouver les passerelles, pratiques et concrètes, entre la nouvelle métaphysique invoquée et le quotidien d’un monde chamboulé.
3 – Format et productions
Ce laboratoire se donne pour ambition de proposer plus types de productions :
A > des expériences exploratoires, engageants les corps, au contact des vivants. Il s’agit de tester, collectivement, différentes pratiques et techniques de « reliances » entre les vivants, ainsi que leurs facultés à produire une « connaissance sensible », syncrétique, ou une parole depuis le non-humain permettant de « faire monde » .
B > des espaces d’échanges autour de ces expériences et visant à produire des hypothèses pour la configuration d’une politique possible (en particulier en ce qui concerne les politiques de développement local, de transition écologique et d’aménagement).
C > des outils et des contenus méthodologiques pour nourrir des assemblées locales, dans un cadre militant (comité de défense d’un espace naturel, etc ) ou dans le cadre de procédures de politique publique (AMO concertation, mission prospective, etc).
4 – Quelques éléments de bibliographie incomplète
- « Vers des institutions inter-espèces », rapport des auditions du parlement de Loire (publication à venir – 2021)
- Glenn Albrecht, « Les émotions de la Terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde », Les liens qui libèrent, 2020.
- Sous la direction de Gérald Hess, Corine Pelluchon, Jean-Philippe Pierron, « Humains, animaux, nature. Quelle éthique des vertus pour le monde qui vient ? », Les colloques de Cerisy, éditions Hermann, 2020.
- David gé Bartoli et Sophie Gosselin, « Le Toucher du monde. Techniques du naturer », Editions Dehors, 2019.
- Sous la direction de Rémi Beau, Catherine Larrère, « Penser l’anthropocène », Presses de Sciences Po, 2018.
- Michel Maxime Egger, « Ecopsychologie, Retrouver notre lien avec la Terre », Jouvence, 2017.
- Michel Maxime Egger, « Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’écopschologie », Labor et Fides, 2015.
- Jean-Baptiste Vidalou, « Être forêts. Habiter des territoires en lutte », La découverte, 2017.
- Aliocha Imhoff, Kantuta Quiros, Camille de Toledo, « Les Potentiels du temps », Manuella Editions, 2016.
- Valerie Cabanes, « Un nouveau droit pour la Terre : pour en finir avec l’écocide », préface de Dominique Bourg, Le Seuil, coll. « Anthropocène », 2016
- Pierre Charbonnier, « La fin d’un grand partage », CNRS Éditions, 2015.
- Eduardo Kohn, « Comment pensent les forêts : vers une anthropologie au-delà de l’humain », Zones sensibles éditions, 2017 (2013 pour l’édition originale).
- Sabine Rabourdin, « Replanter les consciences. Une refondation de la relation Homme/Nature, » Yves Michel, 2012.
- Émilie Hache, « Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique », La Découverte, 2011.
- Davi Kopenawa et Bruce Albert, « La Chute du ciel : paroles d’un Chaman Yanomami », Plon, 2010.
- Eduardo Viveiros de Castro, « Métaphysiques cannibales : lignes d’anthropologie post-structurale », Presses universitaires de France, 2009.
- Comité invisible, « L’insurrection qui vient », La Fabrique, 2008.
- François Laplantine, « Le social et le sensible, introduction à une anthropologie modale », Téraèdre, 2005.
- Philippe Descola, « Par-delà nature et culture », Gallimard, 2005.
- Bruno Latour, « Factures/fractures. De la notion de réseau à celle d’attachement» ; in André Micoud et Michel Peroni, « Ce qui nous relie », editions de l’Aube, 2000.
- Bruno Latour, « Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie », La Découverte, 1999.
- Joanna Macy, Molly Young Brown, « Écopsychologie pratique et rituels pour la terre : revenir à la vie », Le souffle d’or, 2018 (1998 pour l’édition originale).
- Bruno Latour, « Esquisse d’un Parlement des choses », in Écologie politique, n° 10, été 1994.
- Arne Naess, « Écologie, communauté et style de vie », Éditions MF, 2008 (1989 pour l’édition originale).
- Joanna Macy, John Seed, Pat Fleming, Arne Naess, Dailan Pugh, « Thinking Like a Mountain: Toward a Council of All Beings », New Society Publishers, 1988.
- Paul Shepard, « Nature and Madness », The University of Georgia Press, 1982.
- Ivan Illich, « La Convivialité », Seuil, 1973.
- Aldo Leopold, « Almanach d’un comté des sables », Aubier, 1995 (1949 pour l’édition originale).
- Rudolph Steiner, « La Philosophie de la liberté », édition Paul de Tarse, 1986 (édition originale 1894).