Ethique et politique de l’autonomie – Ateliers de lecture autour de la pensée d’Ivan Illich

Organisés par l’Université populaire de Tours

Lundi 20 janvier, 3 février, 17 février, 9 mars, 16 mars, 30 mars 2020 – La Petite Filature – La Riche (37)

Sur le site de l’université populaire de Tours

Tous les quinze jours, pendant trois mois, j’anime un atelier de lecture autour d’Ivan Illich, de la notion d’autonomie et de ces implications politiques. Après une première session introductive autour de la position iconoclaste d’Illich dans le paysage de la pensée du vingtième siècle, nous entrons en lecture de textes choisis (principalement dans « La convivialité », ouvrage de 1973). Nous abordons alors le parcours d’Illich, son éthique de l’autonomie et de la nécessaire imagination, sa politique de la limite et sa conception des seuils, ainsi que les aspects les plus prospectifs de son travail autour du langage, du droit et de la « recherche conviviale ».

« L’homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent, de leur donner forme à son goût, de s’en servir avec et pour les autres » (Illich Ivan, La convivialité (1973), Œuvres complètes, V. 1, Paris, Fayard, 2004).

Illich a écrit et a été lu durant un éclair, pendant la crise énergétique des années soixante-dix, et a paru s’évanouir avec la stabilisation des prix du pétrole et de la croissance économique. C’est une nouvelle crise, celle des années deux-mille et de l’impossibilité de ne plus voir les bouleversements climatiques qui nous renvoie à sa pensée. À temps délicat, idées nouvelles, pourrait-on dire, car la pensée d’Illich perce surtout par son originalité. Nous avons affaire à une écriture sans concession, qui propose une critique radicale de toutes les institutions (école, hôpital, Eglise…) et une promotion de solutions utopiques (société sans école, limitation de la vitesse des déplacements à 25 Km/h…).

Illich en était persuadé : il est possible de faire une autre société et de sortir le tiers-monde de la domination qu’il subit, à condition de rendre au citoyen son autonomie et de bien comprendre ce que cela implique politiquement. La critique des institutions n’a jamais été son horizon. Il désirait surtout libérer les possibilités de chacun.e. Ses textes font jouer sans cesse, contre la froideur bureaucratique et la raison calculante des institutions, l’imagination créatrice de l’homme et les multiples formes de la vie. Illich propose ainsi une philosophie morale et politique basée sur l’autonomie, seule condition nécessaire de la possibilité d’une libération des imaginations. En prolongement, il esquisse sa “société conviviale”, faite d’humains proches les uns des autres, sachant faire oeuvre de limitations et garder le controle sur leurs outils.

Pascal Ferren – L’inverse de la fusée

Conseil artistique et scientifique de la Recherche-Action Vallées Habitées (CAUE 27/EPFN)

La recherche-action Vallées Habitées, élaborée dans le cadre du programme national Paysages Territoires Transition, est organisée par le CAUE de l’Eure, avec l’Etablissement Public Foncier de Normandie, et plusieurs partenaires locaux (collectivités surtout).

Depuis 2018 – Département de l’Eure (27)

Avec Cyril Blondel (Maitre de conférence Université de Reims – docteur en aménagement et urbanisme)

Plus d’infos sur Vallées Habitées

A la demande du CAUE de l’Eure, Cyril Blondel et Pascal Ferren réalise depuis 2018, une mission d’assistance qui prend la forme d’un Conseil artistique et scientifique : accompagnement de la démarche, documentation, valorisation, animation de temps collectifs, etc.

L’ensemble de la démarche expérimentale vise à tester, dans des conditions réelles, des alternatives méthodologiques en urbanisme permettant de relever les défis de la transition territoriale sur des espaces en déprise.

Intervention pour « Paysages Invisibles » – Atelier de recherche proposé par Frédérique Aït-Touati (cycle « Arts de dire, arts de voir dans un monde abimé » imaginé par Marielle Macé)

Organisée par Nanterre-Amandiers, Marielle Macé, auteure associée à Nanterre-Amandiers, et les chercheuses Frédérique Aït-Touati et Alice Leroy.

Lundi 3 février 2020 – CDN Nanterre-Amandiers (92)

Avec le centre dramatique Nanterre-Amandiers, l’EHESS, l’école des arts politiques SPEAP.

Plus d’infos sur la journée et le cadre de l’intervention

Invité par Frédérique Aït-Touati à parler des liens entre urbanisme, sols, vivants, j’ai raconté ma pratique et échangé avec les participants de l’atelier autour de la possibilité d’un urbanisme attentif au sol.

Mes notes :

Si les travaux si stimulants de Frédérique Aït-Touati autour du sol, du sous-sol, de la terre et des manières de présenter et représenter ces éléments (Terra Forma. Manuel de cartographies potentielles – B42, 2019) peut interroger la pratique plus urbanistique que j’essaie de mener, c’est en questionnant la place assigné au « sol » en urbanisme. Si cette discipline hybride, tiers technique, tiers pratique, tiers savante (quelque chose comme ça) appréhende le sol c’est en premier lieu pour gérer son occupation par les activités humaines. Le sol est alors, au mieux, un espace bidimensionnel, disponible (« zuhanden », on aurait envie d’écrire en risquant un renvoi au concept heideggerien) pour la production et l’existence des humains. Au mieux, car l’hégémonie des Systèmes d’Information Géographique pour la représentation de l’espace habité en urbanisme, tend peu à peu à effacer son existence même, en en faisant à peine un fond de carte, un «canevas photoshop », une donnée immédiate et informe de la conscience urbanistique.

Il nous semble qu’une approche pédologique invite à envisager le sol comme un substrat de la vie, peu épais et radicalement irremplaçable. En ce sens, ce que l’urbanisme appelle l’artificialisation des sols est une opération centrale de l’homme anthropocène consistant à détruire rapidement (environ 60 000 hectares annuellement en France – les chiffres diffèrent selon les modes de calcul) le substrat bio-physico-chimique qui est source et moyen de sa propre existence. On comprend dès lors l’importance que les politiques publiques tentent de donner à la lutte contre cette artificialisation (voir le récent rapport, pour le compte du premier ministre, autour de la thématique) et ses parents : étalement urbain ou construction d’infrastructures inutiles.

Différents terrains d’actions m’invitent à constater en quelle mesure ces injonctions fondamentales pour la possibilité même de la vie humaine sur terre buttent sur une pratique urbanistique qui peine à décliner ces enjeux sur le réel. Concernée par des questions de pouvoir, épuisée par le rythme de la démocratie représentative, confrontée à des espaces (et des personnes parfois) abîmés, cette pratique, dans les faits plus intuitive et gestionnaire que planificatrice et performative, semble manquer de chemins pour une considération épaisse et attentive des formes et richesses du sol vivant.

Je corrèle volontiers ces observations avec celles, connexes, de Sabine Barles lors du colloque Urban Feedback de Grenoble (organisée par l’UMR PACTE fin janvier 2019 – voir par là). Elle constatait et regrettait le manque de travaux de recherche en urbanisme s’intéressant aux effets de l’écologisation de l’urbanisme sur la biosphère. En un mot résumant, Sabine Barles disait : si on étudie franchement les effets de l’écologie sur l’urbanisme et ses processus professionnels, on étudie peu les effets de l’urbanisme sur le réel, notamment par rapport à ses intentions écologiques. Et si je reprends la responsabilité du propos je dirai que ce détournement du regard de la recherche répond assez bien aux impasses pratiques de la déclinaison des objectifs écologiques. Pour ne pas avoir de fièvre, le mieux, c’est de ne pas prendre sa température.

N’incriminant aucun des acteurs de l’urbanisme (ni les habitants qui « voudraient mal », ni les élus qui tricherait, ni les techniciens, etc), je m’interroge, à l’aune de ces observations, sur la possibilité d’une ressaisie morale des pratiques de production de l’espace. Dans quelle mesure, un outillage permettant de dégager des conditions de possibilité pour des actions individuelles et collectives conformes aux visées des personnes et de collectifs, permettrait-il d’appréhender les attachements biologiques radicaux entre ce qui manifeste de la vie, et de placer ces attachements à la racine de l’acte d’aménagement ?

Plus concrétement, invitation faite aux “innovateurs” (dans lesquels je m’inclus volontiers) à prendre garde à la manière dont les processus et les dispositifs professionnels dans lesquels ils s’insèrent (parfois au prix de rude parcours professionnels, sécants et précaires) peuvent les éloigner de leur intention et, pire encore, de l’attention aux intentions des personnes avec qui ou pour qui ils produisent de l’espace. Dit autrement encore, cette réflexion rapide m’amène à une certaine précaution, au nom de l’attachement radical entre les vivants, vis-à-vis de la « mise en profession » de la production de nos espaces de vie et de l’action amorale – et non pas immorale – qu’elle tend à développer. Si cette hypothèse s’avérait pertinente, il serait urgent de partager plus largement l’activité de production de l’espace et surtout, de ne jamais agir sans s’assurer que cette action est moralement envisageable, j’entends par là qu’elle relève d’une ou plusieurs visées de vivants et de collectifs de vivants concernés par cette action.

Pascal Ferren – L’inverse de la fusée

“Coopérer avec les habitants” – Intervention dans le cadre de la journée professionnelle « La coopération, un levier du développement culturel dans les territoires »

Organisée par l’agence Auvergne-Rhône-Alpes Spectacle Vivant et la Communauté d’agglomération Loire Forez Agglo.

Jeudi 23 janvier 2020 – Montbrison (42)

Avec Amandine Weber, coordinatrice de l’action culturelle et du développement des partenariats de Loire Forez Agglomération (42), Sarah Wasserstrom coordinatrice du centre culturel de Goutelas (42) et Dorothée Machet, co-directrice du centre culturel Le Bief (63)

Invité lors de cette journée à intervenir brièvement, je devais tenter d’apporter un éclairage sur une double question :

> qu’est-ce qu’on appelle un habitant?

> Comment coopérer avec les habitants ?

Mes notes :

“Habitant” désigne, au même titre que le mot “animal”, un tout et une partie de ce tout. Un tout, tous les êtres humains en temps qu’ils habitent un espace terrestre, mais également une partie, tous les êtres humains en tant que non professionnels des politiques publiques territoriales. L’habitant, c’est le profane, celui qui n’est pas là en tant qu’expert de la production de l’espace habité. Pourtant, la relation active, sous-entendue par le vocable « habitant », nous rappelle que celui-ci modifie et construit l’espace en l’occupant et en y déployant sa vie. Habitant, le vivant mondifie l’espace, pourrait-on dire.

1 – Coopérer avec les habitants, profanes circonstanciels pourtant toujours déjà acteurs de la construction des territoires, c’est donc, en premier lieu certainement, interroger la posture du professionnel en acceptant un partage (et donc l’abandon d’une partie) de pouvoir. Le professionnel que nous sommes toutes et tous par instants doit pouvoir cesser d’agir et discourir pour ré-affirmer sa propre distinction d’avec le profane, mais plutôt tâcher d’affaiblir cette séparation asymétrique des vivants en se répétant chaque seconde : ne suis-je pas également un habitant de la terre ?

2 – C’est peut-être ensuite, adopter une posture vigilante aux relations sensibles et intellectuelles entre les êtres humains en présence et prêter attention aux conditions de possibilité de la satisfaction de leurs intentions et besoins. Coopérer avec les habitants, faire œuvre avec les non-professionnels, c’est ne pas cesser de se demander si ils ont pu exprimer leurs besoins, si ceux-ci ont une chance d’être satisfaits et comment, le cas échéant, nous pouvons œuvrer ensemble à cette satisfaction, même partielle. C’est seulement à cette condition que l’habitant peut être considéré comme un constructeur de l’espace par le déploiement de sa vie et non seulement comme un récepteur de quelconque dispositif. C’est seulement à cette condition que la coopération avec les habitants peut avoir du sens pour tenter d’imaginer et de bâtir un monde plus juste et durablement vivable.

3 – Enfin, il s’agit d’imaginer l’extrême transition intérieure et collective que demande ces deux premiers points et d’être ainsi indulgent quant à nos capacités à atteindre des productions spatiales coopératives. Il est probablement nécessaire, dans un premier temps, d’accepter d’agir au nom de ces principes, parce que le jeu transitionnel en vaut la chandelle méthodologique, et, donc, de se satisfaire de processus imparfaits et dont les résultats, potentiellement salvateurs, sont aujourd’hui très incertains. Mais gageons qu’il vaut mieux, possiblement, des espaces coopératifs et vivables qu’un territoire certain spatialisant les inégalités sociales et détruisant extrêmement rapidement les conditions de la vie digne sur terre.

Pascal Ferren – L’inverse de la fusée